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Le besoin de médias indépendants

Il n’y a pas si longtemps que cela, je me posais la question suivante : « Faudra-t-il qu’une guerre mondiale éclate pour que les médias traditionnels français (la presse écrite, la radio et le petit écran) questionnent les candidats à l’élection présidentielle concernant leur politique à l’international ? » Hasard de l’actualité ou non, l’invasion de la Russie en Ukraine semble coïncider avec le constat qu’il existe une totale carence dans ce domaine. L’insistance des médias à vouloir faire dans le sensationnalisme et de canaliser leurs efforts dans le rapport des faits divers locaux ou nationaux est tout simplement affligeant.

Nous vivons à une époque de fureur politique et de durcissement des clivages culturels. Mais s’il y a une chose sur laquelle pratiquement tout le monde est d’accord, c’est que les nouvelles et les informations que nous recevons sont biaisées. Il n’y a probablement pas un seul jour qui passe, sans que quelqu’un se plaigne de la partialité des actualités dans tous les domaines. Que ce soient pour des critiques de films, aux commentaires sportifs en passant par la couverture des élections présidentielles, rien ne nous est épargné. La récente crise sanitaire couverte par les médias nationaux nous rappelle à quel point le sujet a été outrageusement orienté, et tant pis pour tous ceux qui exprimaient un avis différent : ces personnes étaient qualifiées de complotistes et leurs points de vue tout simplement censurés.

 

Les dénonciations ne sont pas que de la méfiance

Une grande partie de l’indignation populaire qui inonde les médias sociaux, fuyant parfois dans les colonnes d’opinion et les interviews diffusées, n’est pas simplement une réaction aux événements eux-mêmes, mais à la manière dont ils sont rapportés et encadrés. Les « médias grand public » sont le principal foyer de cette colère. Les journalistes et les radiodiffuseurs qui prétendent être neutres sont un objet constant d’examen et de dérision, chaque fois qu’ils semblent laisser échapper leurs opinions personnelles. Le travail des journalistes implique une quantité croissante de discussions non scénarisées en temps réel, qui offrent une fenêtre parfois troublante sur leur pensée.

Mais ce n’est pas simplement un sentiment anti-journalistique. Une fureur similaire peut tout aussi bien s’abattre sur un fonctionnaire ou un expert indépendant chaque fois que son vernis de neutralité semble se fissurer, révélant apparemment des préjugés sous-jacents. L’apparition des plateformes numériques, des smartphones et de la surveillance omniprésente, ont fait ressortir un nouvel état d’esprit public qui se méfie instinctivement de quiconque prétendant décrire la réalité de manière juste et objective. C’est un état d’esprit qui commence par une curiosité légitime quant à ce qui motive une histoire médiatique donnée, mais qui se termine par un refus quasi unanime, d’accepter toute version traditionnelle ou officielle du monde. Nous pouvons tous probablement nous situer quelque part sur ce spectre, entre la curiosité du citoyen engagé et le cynisme corrosif du négationniste du climat. La question est de savoir si cette mentalité nous fait du bien, individuellement ou collectivement.

La vie publique est devenue comme une pièce de théâtre dont le public ne veut pas suspendre l’incrédulité. Tout énoncé d’une personnalité publique peut être décodé à la recherche de son arrière-pensée. Alors que le cynisme grandit, même les juges, les défenseurs supposés neutres de la loi, sont publiquement accusés de parti pris personnel. Une fois que le doute s’installe sur la vie publique, les gens deviennent de plus en plus dépendants de leurs propres expériences et de leurs propres croyances sur la façon dont le monde fonctionne réellement. L’un des effets en est que les faits semblent ne plus avoir d’importance (phénomène appelé à tort « post-vérité »). Mais la crise de la démocratie et crise de la vérité ne font qu’un : les individus se méfient de plus en plus des histoires « officielles » qu’on leur raconte, et s’attendent à en être les témoins.

 

La subtilité entre désinformation et propagande

Il est tentant de blâmer Internet, les populistes ou les trolls étrangers d’inonder de mensonges notre société par ailleurs rationnelle. Mais cela sous-estime l’ampleur des transformations technologiques et philosophiques en cours. Le plus grand changement dans notre sphère publique est que nous avons maintenant un excès inimaginable de nouvelles et de contenu, là où nous en avions autrefois une pénurie. Du coup, les chaînes analogiques et les métiers dont nous dépendions pour notre connaissance du monde nous sont apparus partiels, lents et superflus.

  • Mais alors, est-il possible qu’il y ait trop de scepticisme exprimé ?
  • Comment distinguer exactement cette mentalité critique de celle du complotiste, persuadé qu’il est le seul à avoir vu clair dans la version officielle des événements ?
  • Ou pour renverser la question, comment serait-il possible de reconnaître les cas les plus flagrants de partialité dans le comportement des reporters et des experts, mais néanmoins d’accepter que ce qu’ils disent est souvent une représentation raisonnable du monde ?

Et pourtant, contrairement au battage médiatique initial entourant les mégadonnées, l’explosion des informations dont nous disposons rend plus difficile, et non plus facile, l’obtention d’un consensus sur la vérité. À mesure que la quantité d’informations augmente, la nécessité de sélectionner des éléments de contenu de la taille d’une bouchée augmente en conséquence. En cette époque radicalement sceptique, les questions de savoir où chercher, sur quoi se concentrer et à qui faire confiance sont celles auxquelles nous cherchons de plus en plus à répondre par nous-mêmes, sans l’aide d’intermédiaires. C’est une sorte de libération, mais c’est aussi au cœur de la détérioration de notre confiance dans les institutions publiques.

La menace actuelle pour la démocratie est souvent considérée comme émanant de nouvelles formes de propagande, avec l’implication que des mensonges sont délibérément nourris à un public naïf et trop émotif. La montée simultanée des partis populistes et des plateformes numériques a suscité des inquiétudes bien connues quant au sort de la vérité dans les sociétés démocratiques. Les fausses nouvelles et les chambres d’écho d’Internet sont censées manipuler et ghettoïser certaines communautés, à des fins obscures. Des groupes clés – la génération Y ou la classe ouvrière blanche, par exemple – sont accusés d’être facilement persuasifs, grâce à leur sentimentalité excessive.

Le problème auquel nous sommes confrontés n’est donc pas que certaines personnes ignorent les « médias grand public » ou soient victimes de fausses nouvelles, mais que nous cherchons tous à voir à travers le vernis des faits et des informations qui nous sont fournis par les institutions publiques. Chaque culture humaine à travers l’histoire a développé des moyens d’enregistrer des expériences et des événements, leur permettant de perdurer. Depuis le début des temps modernes, les sociétés libérales ont développé un large éventail d’institutions et de professions dont le travail garantit que les événements ne se passent pas simplement sans laisser de trace ni de sensibilisation du public.

Alors que pourraient faire les rédacteurs et les journalistes professionnels en réponse ? Je tenterais bien de délivrer un début de réponse : ne devraient-ils pas seulement vérifier et mentionner les références de leurs sources d’information pour ainsi mieux crédibiliser leur engagement pour la « vérité » ?

Il semblerait que je ne sois pas le seul à le penser. Plus récemment, le journaliste Nicolas Vidal déclarait, je cite : « On a abruti les Français pendant 30 ans… Et maintenant que des millions d’entre eux se posent des questions légitimes, on les traite de complotistes et avides de Fake News. Voilà la trahison des élites ! »