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L’analyse éclairée du vote

Les politologues s’accordent à dire qu’une population bien informée est nécessaire pour une gouvernance démocratique efficace et gratifiante, tout comme La connaissance est la clé de voûte d’autres exigences civiques. Les acquis factuels de la politique devraient être une composante essentielle de la citoyenneté, pour que les citoyens discernent leurs véritables intérêts et profitent efficacement des opportunités civiques qui leur sont offertes.

En l’absence d’informations adéquates, ni la passion ni la raison ne sont susceptibles de conduire à des décisions qui reflètent les véritables intérêts du public. Et les principes démocratiques doivent être compris pour être acceptés et appliqués de manière significative.

 

La comédie d’un suffrage des incultes

A 24 jours du premier tour de l’élection présidentielle, la campagne électorale n’accroche toujours pas. Avec une campagne où se mêlent résignation et baisse de l’intérêt des électeurs, il est impossible de savoir à l’avance quel camp l’emportera, et encore moins avec quelle marge, surtout si le moral lui-même est une variable. Le manque de certitude quant à l’avenir fait un hachage de calcul purement prudentiel. On dit que la plupart des soldats s’inquiètent davantage de laisser tomber les camarades de leur unité que d’allégeance à une entité aussi abstraite que la nation. Peut-être que les électeurs ressentent aussi leur devoir plus intensément envers leurs amis et leur famille qui partagent leur idée, qu’envers de quelconques politiques liées aux finances publiques, orientations concernant l’aménagement du territoire, prévisions budgétaires liées aux affaires sociales. Il est donc bien inutile de mentionner en quoi la stratégie sur un plan international pourrait leur inspirer…

Cependant, l’inquiétude concernant l’intelligence des électeurs persiste. En effet, le vote des ‘Non-informés’ pourrait être comparé à la pollution de l’air. C’est une analogie convaincante : dans les deux cas, la conscience de quelques-uns éclairés n’est pas à la hauteur de la négligence de la plupart, et le coût de l’évitement du devoir est trop largement réparti pour garder un seul malfaiteur en ligne. Votre trajet à vélo ne rendra probablement pas l’air de la ville plus propre. Et pourtant, tout l’intérêt de la démocratie est que le nombre de personnes qui participent à une élection est proportionnel au nombre de personnes qui devront vivre intimement avec le résultat d’une élection.

 

Enseigner des cours de politique dès le cycle 3 

Les arguments en faveur de la démocratie ne peuvent reposer sur le seul fait que les électeurs sont des agents rationnels et informés. En effet, de nombreuses recherches suggèrent qu’ils ne le sont pas :

  • Ils ne connaissent pas les différences entre les positions politiques des candidats
  • Ils ne savent même pas ce que l’exécutif peut et ne peut pas faire
  • Ils ne votent pas de manière fiable pour le candidat avec lequel ils sont le plus d’accord, même sur des questions dites élémentaires

Trois points se résument à un paradoxe :

1/ Presque chaque théoricien de la démocratie ou acteur politique démocratique considère qu’un électorat informé est essentiel à une bonne pratique démocratique. Les citoyens doivent savoir qui et/ou quoi ils choisissent et pourquoi – d’où les appels urgents à une éducation élargie et financée par l’État, et aux droits à la liberté d’expression, de réunion, de presse et de mouvement.

2/ Dans la plupart des régimes démocratiques, sinon dans tous, la proportion de la population qui a obtenu le droit de vote a constamment augmenté, et rarement diminué, au cours des deux derniers siècles. La plupart des observateurs estiment que l’élargissement de l’émancipation rend un État plus démocratique.

3) Pourtant la plupart des expansions du suffrage attirent, en moyenne, des personnes moins informées politiquement ou moins instruites que celles qui ont déjà le droit de voter.

La réunion de ces trois points non controversés conduit à la conclusion qu’à mesure que les états se démocratisent, leurs processus décisionnels deviennent de moindre qualité en termes de traitement cognitif des problèmes et de choix des candidats. Le paradoxe est à la fois historique et normatif :

  • Pourquoi les démocraties ont-elles élargi le droit de vote pour inclure des électeurs relativement ignorants ?
  • Pourquoi les démocraties devraient-elles étendre le droit de vote pour inclure des électeurs relativement ignorants ?

 

La rupture évidente du législateur   

Il est possible, cependant, que la démocratie fonctionne même si les politologues n’ont pas réussi à trouver une équation ordonnée pour l’expliquer. Il se pourrait que les électeurs prennent un raccourci cognitif, laissant des marqueurs généraux comme l’affiliation à un parti remplacer une étude approfondie des qualifications et des positions politiques des candidats.

Depuis que l’idée de démocratie est devenue une aspiration plutôt qu’une peur ou une menace, les acteurs politiques soutiennent que les citoyens doivent être informés pour qu’elle fonctionne bien. Pourtant, Aristote a cherché à éviter la démocratie, en grande partie sur la base de l’ignorance populaire. Avant lui, Platon, l’un des premiers à considérer la démocratie comme un problème, considérait son citoyen typique comme insouciant et volage. Sur ce quoi j’essaie d’insister, c’est l’écart qui existe entre l’aspiration à une citoyenneté éduquée dans une démocratie et les faits réels de la gouvernance démocratique. De ce fait, nous pourrions déclarer que les citoyens ne sont pas trop ignorants pour maintenir une démocratie qui fonctionne, et dans le même temps affirmer que ces mêmes citoyens sont trop ignorants même pour reconnaître qu’une démocratie appa rente n’est pas authentique.

Mes réflexions sont les suivantes :

  • Quelles sont les domaines pour lesquels l’ensemble des citoyens devrait exercer leur souveraineté de manière appropriée ?
  • Notre Constitution est-elle suffisamment protégée contre l’isolement d’une seule personne aux plus hautes fonctions de l’Etat ?
  • L’immunité présidentielle ne conduirait-elle pas les locataires de l’Elysée à perpétrer des méfaits durant leur mandat ?