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L’abstention en ballotage favorable

By 24 mars 2022 avril 4th, 2022 No Comments

Le système présidentiel français est ainsi fait : il obéit à un scrutin à deux tours, lequel pour l’élection de 2017 devait se tenir respectivement les dimanches 23 avril et 7 mai. Cependant, il est important de souligner le fait que cette élection était plutôt atypique combinant à la fois un vainqueur imprévisible et un perdant identifié au second tour. D’après les sondages, Marie Le Pen s’était vu attribuer à la fois une place parmi les deux finalistes du second tour et s’était pourtant donnée battue, quel qu’ait pu être son adversaire du jour.

Le système électoral présidentiel français présente ce paradoxe non-démocratique flagrant, qui garantissait que le candidat non Front National (FN à l’époque) arrivé premier ou deuxième au premier tour arriverait premier au second tour. L’élection présidentielle s’est alors soldée par une course entre tous les candidats hors Front national pour remporter la place restante pour le second tour – l’autre revenant à Marine Le Pen. Le second tour de 2002 entre Jean-Marie Le Pen et Jacques Chirac avait déjà été une illustration emblématique de cette situation peu banale.

 

L’aveu du renversement des sondages

En France, il faut comprendre l’existence d’une interaction à deux effets : le premier provient du refus de tous les partis de l’échiquier politique de s’allier aux candidats FN (maintenant appelé Rassemblement National) pour le second tour des élections quelles qu’elles soient ; le deuxième effet résulte du refus catégorique de millions d’électeurs de faire élire un candidat RN. En conséquence, pour éviter que cela ne se produise, ils votent massivement pour soutenir le candidat challenger, quelle que soit son affiliation politique. De sorte que l’on peut se demander encore l’intérêt des soi-disant programmes des aspirants qui se présentent, et si l’on peut encore clamer que ce vote est réalisé dans un esprit démocratique, si au final, un concurrent est élu par défaut.

Il est aussi important de souligner que la campagne de 2017 avait été marquée par une série sans précédent d’incidents judiciaires combinés à des résultats inattendus lors d’élections primaires organisées d’abord par la droite et le centre ensemble, puis par le Parti socialiste. Dans les deux cas, le candidat favori avait été battu : à droite (Les Républicains) d’Alain Juppé laissait la place à François Fillon ; à gauche (Parti socialiste) Manuel Valls perdait contre Benoît Hamon. En conséquence, l’accélération soudaine d’une érosion de ces deux partis, avait fait passer la probabilité d’une élection de Marine Le Pen d’impossible à totalement improbable.

Et pourtant, durant la campagne électorale, les prédictions des sondages avaient prouvé qu’elles pouvaient s’avérer dramatiquement fausses. En effet, l’abstention inavouée, qu’elle soit directe ou via bulletins blancs et nuls, avait la capacité de créer une abstention différenciée effective, qui aurait pu chambouler le résultat avec une victoire inattendue de Marine Le Pen alors qu’elle avait des intentions de vote inférieures à 50%.

L’abstention inavouée s’apparente au phénomène du refus de vote mais si la première est silencieuse et tacite, la dernière est soit tactique, soit médiatisée. C’est différent du « paradoxe de la non-présentation ». Ainsi, les observateurs prédisent la gravité du faible taux de participation des électeurs, et sur les candidats qui pourraient le plus souffrir du fait que ces mêmes électeurs restent chez eux. Pour simplifier, les intentions des sondages pouvaient s’inverser le jour du scrutin sans que les gens ne changent d’avis.

 

Les causes de l’abstention

Les politiques sont élus à la majorité des scrutins exprimés et donc l’abstention ne change rien au résultat effectif. De ce fait, l’abstention fausse les résultats et provoque un effet pervers de mécontentement. Un récent sondage réalisé par la société BVA a montré que seulement 71% des personnes interrogées avaient l’intention de voter lors des élections d’avril. En pratique, cela signifierait un taux d’abstention similaire à celui du premier tour en 2002 – 28,40 % ou le record absolu pour le premier tour d’une élection présidentielle à deux tours en France. Le taux d’abstention était également considéré comme élevé en 2017, lorsque 22,2 % des électeurs inscrits se sont abstenus. Et comme le vote blanc n’a toujours aucune valeur, l’abstentionniste ne peut finalement pas s’exprimer conformément à ses aspirations.

Il convient donc de rechercher les causes de l’abstention : une absence de candidat correspondant aux souhaits des électeurs, une méthode des parrainages inadaptée, des inégalités de traitement de la part des médias vis-à-vis des candidats moins connus, l’omerta des grands partis vis à vis des plus petits et le manque de débat politique entre les candidats sur les questions de fond. Tous ces motifs sont en fait des bâillons à l’expression de la démocratie et produisent un mécontentement légitime de la population.

Pour rappel, seuls deux sujets se sont imposés pendant ces élections : le combat contre le développement durable et le pouvoir d’achat. Il est à remarquer que cinq ans plus tard, ce dernier sujet est toujours d’actualité…

Alors entre le ras-le-bol général, la destruction des partis politiques, le refus du Président sortant de débattre et la fatalité que le représentant de ‘La République En Marche’ va passer, un bon tiers de la population est inquiète. D’ailleurs dans un récent sondage réalisé par BVA, 40% de ceux qui ont l’intention de s’abstenir lors de l’élection d’avril ont cité « l’impression que les dés sont déjà jetés » pour justifier de ne pas participer – presque à égalité avec ceux qui pensent que « l’élection ne changera rien à leur vie quotidienne ».

 

La susceptibilité des votants

Il y a de plus en plus de preuves que les campagnes électorales sont importantes. Il y a aussi des raisons de s’attendre à une hétérogénéité interpersonnelle dans la susceptibilité à l’influence de la campagne. La décision sur l’heure du vote a été suggérée comme une variable médiatrice clé pour les effets de la campagne. Cependant, il n’existe aucune preuve empirique convaincante pour étayer l’affirmation selon laquelle les personnes qui décident pendant les campagnes réagissent réellement aux événements de la campagne ou aux informations spécifiques à la campagne.

En somme, les intentions de vote des décideurs de campagne sont en effet plus volatiles parce qu’elles réagissent aux événements et à la couverture réels de la campagne, et non parce qu’elles fluctuent au hasard. Les personnes qui disent avoir décidé avant la campagne ne sont, chose rassurante, pas influencées par les campagnes. Et c’est pourquoi, les partisans de Macron craignent que ses électeurs potentiels ne soient trop confiants quant au résultat. Les études ont démontré qu’historiquement, il est déjà difficile de mobiliser l’électorat d’une administration sortante.

Mais la faible participation des votants ne devrait-elle pas profiter à Emmanuel Macron ? N’oublions pas que les bases de soutien plus jeunes et ouvrières dont bénéficient les candidats des deux extrêmes ont toujours été plus difficiles à amadouer vers les urnes. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon faisant une troisième candidature consécutive pour le poste le plus élevé de la France, connaissent les risques ; tous deux se sont efforcés d’augmenter la participation de leurs supporters respectifs. Leurs efforts seront-ils suffisants ?

Le péril plane également ailleurs. Le consultant politique et professeur de Sciences Po Philippe Moreau Chevrolet a souligné un autre facteur qui pourrait réduire les files d’attente aux urnes : dix jours après que le gouvernement français a levé la plupart des protections Covid-19 du pays, y compris son laissez-passer pour les vaccins et le masquage intérieur exigences, les cas confirmés ont bondi à une moyenne quotidienne de 110 000 dans tout le pays.